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01/09/2007

Sondages et convictions : jamais sans ma base (comment on gagne la bataille de l'opinion, 8)

Au-delà du rapport, agressif ou plus respectueux, à l'adversaire, deux stratégies de fond s'affrontèrent dans le scrutin de 2004. Motiver discrètement sa base tout en courtisant activement les électeurs indécis : c'est la voie que choisit Kerry. Le parti démocrate comptait en effet sur les publics qui lui étaient traditionnellement fidèles, en particulier les minorités afro-américaine et hispanique, ainsi que les jeunes, les femmes et les intellectuels. Mais il était aussi possible de tenter une approche nouvelle, en faisant tout le contraire : concentrer ses forces sur sa base en cherchant peu à recruter au-delà. En marketing, cela s'appelle la fidélisation. Et c'est ce qu'entreprit Bush avec succès.

Car les Républicains avaient trouvé la faille chez des groupes qui, s'ils étaient favorables à une aide sociale élargie généralement associée aux Démocrates, ne s'avéraient en réalité pas indifférents à un certain conservatisme social et aux valeurs familiales. La communauté hispanique occupait à présent une place similaire à celle de la minorité noire, soit environ 13 % de la population (35 millions sur 281) ; on estime même qu'elle aura atteint 40 milions d'individus avant 2010. Bush ne s'y était d'ailleurs pas trompé : dès son élection comme gouverneur du Texas en 1998, il s'était montré attentif aux questions de l'immigration et du bilingusime. Le président sortant sut aussi adresser des messages aux femmes sur le terrain des valeurs familiales ("W stands for Women"). Quant au soutien des intellectuels à Kerry, il desservait plutôt l'image de celui-ci, perçue comme élitiste. C'est que, comme pour la gauche française, la composante ouvrière s'était éloignée du parti démocrate, en laissant ainsi la dimension intellectuelle dominer la mouvance progressiste.

Kerry partit ainsi à la conquête de nouveaux groupes d'électeurs. Comme la société américaine est très fortement segmentée, cela oblige à démultiplier les messages vers les différents groupes en question. Aujourd'hui encore, il n'est pas possible de passer à côté d'un stand politique et de chercher à s'y inscrire sans cocher sur le formulaire prévu à cet effet l'une des innombrables cases qui permettent de s'identifier à travers une caractéristique-clé. Le site de Kerry finit ainsi par compter près de 25 rubriques spécifiques pour des groupes tels que les infirmières, les habitants des communautés rurales, les habitants des îles du Pacifique, etc. Dans ce mouvement de conquête, l'identité démocrate finit, du coup, par se dissoudre. Kerry s'efforça de parler davantage de religion, fit bien quelques parties de chasse et tenta de définir une position nuancée sur les armes à feu. "Lorsque vous faites ça, au final vous n'avez rien" souligna Bredesen, un responsable démocrate. C'est la règle de base du marketing : définir ses cibles et s'y tenir. Inversement, vouloir à tout prix plaire à tout le monde finit à ne ressembler à plus grand chose, et à laisser tout le monde sceptique.

Bredesen résuma un jour, lors d'une convention démocrate dans le Sud, le programme républicain : "Une vision traditionnelle de la famille, opposée à l'avortement et au mariage homosexuel, un rôle central de la religion, le soutien du droit à la possession privée d'armes à feu, des impôts peu élevés, une vision combative de la défense des intérêts américains à l'étranger". Aucun des politiques présents ne put relever le défi d'en faire autant pour les Démocrates en trente mots. Comme le résume justement Marie Lora : "Le parti républicain est parfois surnommé le "parti de papa" tandis que le parti démocrate est le "parti de maman". L'un incite à l'action et réprimande, l'autre écoute et console. Pour certains commentateurs, ajoute-t-elle, la campagne de John Kerry fut l'ultime tentative pour travestir maman en papa, et les électeurs ne s'y laissèrent pas prendre". Le problème peut, paraît-il, se poser en sens inverse sous d'autres latitudes. Un positionnement simple et clair consolide sa base. Mieux encore : les Républicains s'appuyèrent sur cette base - les 45 % d'électeurs déjà conquis - pour, de l'intérieur, élargir leur audience en demandant par exemple aux militants d'amener au bureau de vote un parent ou un ami, plutôt que de chercher à conquérir les 10 % d'électeurs les plus distants.

"God bless America" : les références à la religion dans les discours de Bush étaient constantes. Les communautés religieuses si importantes - la religion est aux Etats-Unis un des principaux paramètres du vote - furent tout particulièrement soignées. Certaines congrégations religieuses furent même transformées en "cellules de campagne" et en autant de relais d'information sur le terrain... Kerry était catholique (à l'instar de 23 % de la population), et plus discret sur ses convictions. Si les démocrates étaient parvenus à pénétrer davantage les groupes religieux, cela aurait pu changer le sort de l'élection. C'est précisément là qu'intervint le plan stratégique de Karl Rove : mobiliser les 4 millions de chrétiens évangélistes qui n'avaient pas voté quatre ans plus tôt. Pour ce faire, Rove proposa de coupler dans une dizaine d'états l'élection présidentielle avec un referendum sur le mariage gay, en misant sur le conservatisme des minorités noires et latinos an matière religieuse. Ce fut sans doute l'une des clés de l'élection : sans cela, Kerry aurait sans doute gagné l'Ohio, et le job dans la foulée. Il y eut finalement 100 000 votes d'écart dans cet état, et 16 % des Afro-Américains y votèrent Bush contre 11 % pour l'ensemble du pays.

Jusqu'au dernier moment pourtant, un retournement parut possible. Au cours des débats, grâce au travail qu'il réalisa sur ses points faibles et notamment son manque de concision et de clarté, Kerry prit même l'ascendant sur son adversaire. Mais cela ne se traduisit pas dans les sondages. Ce qui semble fondamental en fin de compte, c'est la capacité du candidat et de son équipe à mettre en musique un discours et à transformer ses faiblesses en atouts, à tout le moins de réussir à les neutraliser. Le marketing joua dans cette affaire un rôle clé. Bush ne s'y trompa pas qui dédia sa victoire au "grand architecte de cette campagne, le génie... Karl Rove". Kerry, à l'inverse, cumula quelques erreurs stratégiques : équipe insuffisamment prête le moment venu, sans vrai conseiller à la barre pour démarrer, une stratégie et un message qui tardèrent à se clarifier, une certaine faiblesse dans le conflit, une sous-estimation de l'adversaire aussi - "They misunderestimated me" avait dit Bush, qui avait de son côté beaucoup travaillé sa communication politique depuis 2000 en incarnant à merveille les valeurs de l'Américain moyen. Les quelques atouts accumulés : fort soutien de groupes indépendants et surtout stratégie percutante sur internet, dans ces conditions, ne changèrent rien à l'affaire.

On peut pourant pousser le paradoxe à son terme. Pour l'expert Joe Klein, "le drame de la campagne de Kerry, c'était qu'elle était bien trop conduite... en fonction des résultats des sondages, ce qui renforça cette impression de "flip-flopper". Ce n'était pas une campagne menée sur de véritables convictions politiques". C'est surtout de son apparente inconsistance que Kerry aura le plus souffert, parce qu'en recherchant à épouser l'opinion dans ses moindres fluctuations, il finit par estomper la lisibilité d'un projet supposé, pour tout candidat à une élection de cette nature, se traduire par des changements clairs dans la vie des gens.

Il reste que les bases de données ont joué et joueront désormais un rôle clé dans le pilotage stratégique des campagnes. "Pendant des années, souligne M. Lora, les ressources vitales d'un parti politique en période d'élection ont été les hommes et l'argent. Désormais et de plus en plus, ce sera l'information et la gestion (ou en langage marketing, la "transformation") de cette information. Ce qui prédit un bel avenir au marketing politique et à ses applications informatiques, que ce soit aux Etats-Unis ou en France". Un rapprochement largement validé par la campagne pour l'élection présidentielle française de 2007, dont la campagne américaine de 2004 constitua bien l'un des creusets conceptuels.

Commentaires

Est-ce que tu lis tes mails sur voila.fr

Écrit par : OP | 04/09/2007

Oui oui, bien sûr, je te réponds ! OB

Écrit par : OB | 04/09/2007

Les commentaires sont fermés.