21/06/2007
Fiat lux (comment pensent les leaders ?)
L'on pourrait, et l'on doit, dans une large mesure, s'intéresser à ce que les leaders réalisent : entre l'être et l'avoir, le faire reste bien un critère inégalé de la mesure de la réussite. A s'en tenir pourtant à ce seul examen des actes, on manquerait l'essentiel.
Voyez Jack Welch, à quelques années d'intervalle : posant d'abord le principe que chaque activité soit numéro 1 ou 2 sur son secteur, puis limitant la part de marché de chacune de ces mêmes activités à 10% pour contraindre le management à développer de nouvelles opportunités.
A ne scruter que l'action, on se perdrait dans ses ajustements inévitables en se privant de l'accès au logiciel, toujours en quelque sorte à la traîne d'une trouvaille. En ce sens, le succès rencontré par les ouvrages managériaux relatifs aux questions d'exécution ne paraît receler qu'un potentiel limité.
Alors, comment pensent donc les leaders : culte de la réussite, sens du défi, obsession du résultat ? Vous n'y êtes pas du tout. Rien de tout cela ne caractérise en propre la façon de penser des dirigeants qui réussissent.
Ce qui leur serait particulier ? L'art de dépasser les oppositions binaires vers une tierce solution innovante, et plus performante.
C'est du moins la conclusion à laquelle parvient Roger Martin (Université de Toronto) après six ans de travail sur ce sujet auprès de 50 dirigeants, et notamment avec Bob Young, le leader de la distribution des logiciels Linux, qui aime à se définir non comme "un de ces types brillants que l'on rencontre dans l'industrie, mais comme un vendeur dans un monde de génies de la technique".
C'est lui qui, à la tête de Red Hat, parvint à dépasser le dilemme stratégique entre logiciels libres et payants en développant un marché d'assistance technique auprès des entreprises.
Si l'art de dépasser les contraires est pourtant si peu pratiqué, c'est qu'au lieu de chercher d'abord à simplifier le réel en faisant émerger des alternatives claires et simples, il accepte de s'immerger, le temps nécessaire, dans la complexité pour dégager la meilleure solution possible.
Soit l'antithèse du choix entre A et B, qui conduit généralement à abandonner tout ce qui, dans l'autre option, pouvait pourtant contribuer à enrichir la solution retenue, et qui fait ainsi davantage figure de pis-aller plutôt que de solution optimale.
Hélas ! Nous ne goûtons guère la complexité, source, par définition, de complications, mais aussi d'anxiété, et nous lui préférons souvent la simplicité plus confortable inspirée des certitudes établies et des recettes qui ont fait leur preuve.
Deux formes de pensée s'opposent donc, la pensée conventionnelle et la pensée intégratrice. A tous les stades de l'élaboration de la décision - définition de la problématique, analyse de la causalité, architecture d'ensemble, résolution du problème -, la première s'efforce toujours de simplifier et d'éliminer sur un mode linéaire, quand la seconde cherche à enrichir, à nuancer et à approfondir les inter-relations dans une approche plus systémique.
Comme le souligne Bob Young : " Les gens sont souvent confrontés à des choix difficiles - par exemple : est-ce que je veux être un fournisseur de produits de qualité à coûts élevés, ou un fournisseur à bas coûts de produits de qualité médiocre ? Nous avons l'habitude de peser le pour et le contre de chacune de ces alternatives et, finalement, d'en retenir une. Mais les dirigeants qui réussissent considèrent ces choix et se disent : je ne veux pas choisir l'un ou l'autre, je refuse les alternatives du type : ou ceci, ou cela".
Ce que l'architecture de la décision met tout particulièrement en évidence, c'est qu'un traitement du sujet porté par une vision d'ensemble est supérieur à une approche segmentée. Là ou la pensée conventionnelle ne sait que retenir la meilleure des solutions disponibles, la pensée intégratrice fait émerger une nouvelle approche tirée d'une confrontation approfondie des contraires.
Limites de l'analyse cartésienne, à laquelle la synthèse créatrice substitue un éventail plus riche de solutions plus optimales. En somme, je pense (complexe), donc je suis (un leader).
23:42 Publié dans Leadership | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : leadership, complexité, Bob Young, Linux, analyse systémique
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